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Nous évoquions, dans un article du 16/09/07, les "demi-certitudes" auxquelles conduisait la lecture de ce rapport.
Dans le "Midi Libre" du 30/09/07, Maryse Arditi, Docteur en Physique Nucléaire, Vice-Présidente Verte du Conseil régional et ancienne Présidente de l’INERIS donne son point de vue :
Les Académies de Sciences et de Médecine, le CIRC et l’INVS nous livrent un rapport surprenant. Sur un sujet majeur de controverse scientifique, les cancers liés à l’environnement, les auteurs prennent une position unilatérale : l’environnement (et donc la pollution, les produits chimiques.) pèse pour moins de 1% dans les cancers en France.
Dans une science en voie d’élaboration, le doute, et non la certitude, est de mise. Pour crédibiliser une telle étude, il eut fallu rassembler beaucoup plus largement pour assurer la prise en compte de tous les éléments avec la même rigueur. On sait, par d’autres études, que les Académies de Médecine et de Sciences « ne croient pas » aux effets des faibles doses. Il eut fallu que d’autres scientifiques qui y croient soient dans le panel. Du coup, même dans les 85% de cancers inexpliqués chez les non-fumeurs, nos auteurs ne voient pas trace d’explication liée à l’environnement.
Lié à la limite statistique de l’épidémiologie
Le cour de l’étude est fondée sur l’épidémiologie, soit la technique scientifique qui calcule combien de cancers sont attendus dans une population normale et combien sont constatés dans une population soumise à un risque de plus. Pour la mettre en ouvre, il faut étudier des cohortes de population sur de longues périodes, d’où des limites statistiques très importantes.
Elle mesure plus facilement les risques importants appliqués à une faible partie de la population que les risques moindres appliqués à la majorité de la population. On comprend bien dans ces conditions la difficulté à mettre en évidence les cancers lié à l’environnement, par exemple aux pesticides dans les eaux qui touchent normalement toute la population française.
A l’insuffisance du recueil des données en France
Pour faire du mieux possible l’étude en question, la France est vraiment très mal placée. Il existe dans de nombreux pays des registres du cancer. En France, il n’y a pas de registre national et seulement 15 registres départementaux couvrant 15% de la population française. Pire, seuls 4 d’entre eux couvrant 6% de la population française ont 20 ans de recul, ce qui est le minimum pour une telle étude.
A l’impossibilité pour l’épidémiologie de traiter les risques émergents
Puisque l’épidémiologie mesure les maladies et les morts déjà survenus, elle ne peut absolument rien dire sur les risques émergents. Ainsi le téléphone portable qui a moins de 10 ans de présence effective dans la population n’a encore provoqué suffisamment de cancers pour que les épidémiologistes puissent les mesurer. Tant qu’il n’y aura pas assez de recul pour que la population ait été longuement exposée, les épidémiologistes ne peuvent que dire qu’ils ne voient rien. et les industriels d’en déduire qu’il n’y a rien et donc qu’on peut continuer.
Or, pour prévenir d’éventuels cancers liés à des risques émergents, il faut utiliser le principe de précaution et agir en amont avant que le mal ne soit fait
A la sous-évaluation grave des cancers professionnels
L’information est surprenante : 3,7% des cancers chez les hommes et 0,5% chez les femmes seraient liés à leur profession. On serait tenté de dire seulement ! Chacun connaît la difficulté à faire reconnaître une maladie professionnelle et en conséquence leur sous-évaluation massive. D’ailleurs, la commission d’évaluation 2005 sur les coûts des accidents du travail et des maladies professionnelles, présidée par M. Diricq, Conseiller Maître à la Cour des Comptes, mesure la sous-évaluation des cancers professionnels chez les hommes à un facteur compris entre 2 et 7.
A une volonté délibérée de sous-estimer l’accroissement du nombre de cancers
Il faut toujours regarder à la fois le nombre de cancers qui se déclarent et combien de personnes en meurent, ce que fait ce rapport. Pour tenir compte du vieillissement, on compare des populations qui auraient la même structure d’âge. Le résultat est que la mortalité a baissé un peu (de 13% en 34 ans) et que le nombre de nouveaux cancers a augmenté beaucoup (de 20 à 23% en 20 ans). En fait, selon les auteurs, s’il y a plus de cancers, c’est surtout à cause des campagnes de dépistage. Mais, pas un mot sur l’explosion des cancers de l’enfant pour lesquels il n’existe aucune campagne de dépistage !
Et qui vient impacter le Grenelle de l’environnement
Ainsi, à l’orée du Grenelle de l’environnement, un rapport apparaît qui nous dit, globalement, que les français sont responsables de leurs cancers, surtout à travers le tabac et l’alcool, et que les substances chimiques et toxiques n’y sont quasiment pour rien. Les industriels peuvent leur dire merci. Mais, si au cours des prochaines années, d’autres crises comme l’amiante surviennent, les auteurs en porteront une part de responsabilité morale.
Maryse Arditi