Une franchise renversante

vendredi 3 août 2007.par Philippe Ladame
 
Avec trois nouvelles "franchises", le gouvernement espère probablement freiner les dépenses de santé. La manière adoptée soulève questions et provoque une opposition importante.

Avec la mise en oeuvre de la franchise on renverse (de manière limitée mais significative) le principe fondateur de l’assurance maladie qui est que tous, malades ou non, participent au financement du système de santé qu’ils en bénéficient (malades) ou qu’ils n’en bénéficient pas.

En instaurant une franchise de 50 centimes par boîte de médicament, de 50 centimes par acte paramédical et de deux euros par recours au transport sanitaire, à concurrence de 50 euros année par personne, le gouvernement, qui devait trouver des sous, a décidé de faire peser cette partie de la charge sur les seuls malades.

Pour ne pas présenter la mesure comme une énième manière de combler le trou d’un système structurellement déficitaire, le président et son gouvernement ont choisi d’expliquer qu’il s’agissait là du moyen d’assurer le financement de la lutte contre le cancer et de la maladie d’Alzheimer.

Ce renversement consistant à faire supporter la charge du financement par les malades uniquement est déjà troublant par principe. L’impact que pourrait avoir ce dispositif sur les familles pauvres, qui, s’ajoutant à l’existant, pourrait les déterminer à renoncer à des soins, met plus mal à l’aise encore.

Dans un article du Monde du 02/08/07, Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé à Sciences Po et professeur associé à l’université Descartes-Paris-V, explique que déjà « le reste à charge annuel imputable aux seuls tickets modérateurs et forfaits prévus par la Sécurité sociale est d’environ 240 euros par personne, et 10 % de la population supportent à ce titre, parfois sans assurance complémentaire ou mutuelle, une dépense de plus de 500 euros. » Il en tire la conviction de la nécessité d’un « bouclier sanitaire » tel que le prône Martin Hirsch (voir notre article) qui instaurerait un plafonnement de l’effet de cette franchise pour les familles les plus démunies.

Mais, selon le Canard Enchaîné du 01/08/07, la mise en place d’un tel « bouclier sanitaire » est compromise. « La Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) n’ayant pas les moyens de connaître le niveau de revenus des assurés, comment les plus pauvres seront-ils repérés ? Devront-ils se faire confectionner, par l’administration fiscale, un certificat d’indigence qu’ils pourront présenter à tous les praticiens et pharmaciens pour échapper à la douloureuse ?, » interroge le Canard qui croit savoir que, si la franchise sera mise en place dès le 1er janvier 2008, le « bouclier sanitaire » lui, attendra.

Dans un communiqué du 02/08/07, les Verts se désolent que « Après avoir octroyé 13 milliards de cadeaux fiscaux à une couche étroite de privilégiés, le gouvernement ponctionne aujourd’hui l’ensemble des malades, d’une manière, encore une fois, injuste socialement. »

Ils rappellent que « c’est l’explosion des maladies chroniques (+73 % en 10 ans) qui est la cause de l’augmentation des dépenses de santé : 12% des personnes en Affections de Longue Durée représentent 60 % des dépenses. Cette explosion peut être stoppée si on agit sur les causes des maladies : malbouffe, pollutions, stress... »


Le site http://www.appelcontrelafranchise.org/ ne répondant plus à ce jour, nous reproduisons ci-dessous le texte qu’il contenait qui avait été publié pendant la campagne présidentielle et avait recueilli plus de 52.000 signatures.

« FRANCHISE » SUR LES SOINS : L’ASSURANCE MALADIE SOLIDAIRE EN DANGER

En matière d’assurance maladie l’UMP et Nicolas Sarkozy ont une idée fixe : l’augmentation des dépenses de santé, ce serait d’abord et avant tout la faute des patients. Il faudrait donc les « responsabiliser », c’est à dire les pénaliser financièrement pour « qu’ils consomment moins », ou, au minimum, pour que « la Sécu rembourse de moins en moins ».

Déremboursements incohérents, augmentation du « ticket modérateur » sur des soins courants, généralisation des dépassements tarifaires pour les médecins spécialistes, invention du forfait de 1€ par acte de soins ou de biologie, du forfait de 18 euros sur les actes supérieurs à 91€, l’actuelle majorité a multiplié les atteintes à la prise en charge solidaire des soins. Mais si elle a augmenté le reste à la charge des patients, le déficit de l’assurance maladie n’en a pas été comblé pour autant.

Aujourd’hui Nicolas Sarkozy va plus loin, beaucoup plus loin, en annonçant que s’il est élu il mettra en place une « FRANCHISE » c’est-à-dire un seuil annuel de dépenses en dessous duquel l’assurance maladie ne remboursera rien. Rien du tout. Franchise qui, pour mieux jouer son rôle de dissuasion de la consommation, ne sera pas remboursable par les assurances complémentaires, au moins dans un premier temps.

Nous, professionnels de santé, acteurs du monde associatif ou médico-social, universitaires, représentants des usagers et/ou usagers du système de santé dénonçons les RISQUES MAJEURS D’UNE TELLE FRANCHISE :

Franchise = Régression sociale : Dans son principe même une franchise d’un montant identique pour tous « pèsera » différemment selon les revenus. C’est la fin d’un système d’assurance maladie solidaire dans lequel chacun cotise selon son revenu et qui protège, équitablement, les individus en bonne santé et les malades. On quitte la logique de la solidarité pour celle de l’assurance privée.

Franchise = Menace sur l’accès aux soins des plus modestes :Dans une France où vivent plus de 3 millions de chômeurs et 7 millions de « travailleurs pauvres », 100 € de soins de santé non remboursés ce n’est pas rien… Et ce sont eux qui seront les premières victimes de la franchise si jamais elle voit le jour. La franchise, c’est la remise en cause de ce progrès social et sanitaire évident qu’avait été la création de la CMU.

Franchise = Menace sur l’accès aux soins primaires et la santé publique : Pour les « gros consommateurs », c’est-à-dire les patients atteints de maladies lourdes, il n’y aura pas le choix : il faudra payer. Mais au-dessus du montant de la franchise, ce sera sinon gratuit du moins « comme avant ». La cible de cette mesure ce sont surtout les petits ou moyens consommateurs qu’il faut dissuader de se faire soigner pour des maladies apparemment moins sévères (celles qui, non soignées, peuvent justement s’aggraver) et bien évidemment pour les actes de prévention que l’on croit toujours pouvoir « reporter » à plus tard. L’inverse d’une politique cohérente de santé publique.

Franchise = Remise en cause du « tiers payant » : Les professionnels de santé ne pouvant savoir si le montant de la franchise a, ou non, déjà été acquitté, les patients devront systématiquement faire intégralement « l’avance de frais ». Ce qui constituerait un obstacle supplémentaire à l’accès aux soins des plus modestes.

Franchise = Porte ouverte à l’escalade : Nicolas Sarkozy ne s’en est pas caché, cette franchise sera « modulable » c’est-à-direque « si les dépenses augmentent et si le déficit augmente on pourrait augmenter le montant », et comme les dépenses augmenteront, inéluctablement, la franchise augmentera, non moins inéluctablement, et avec elle augmentera la gravité de ses effets pervers.

Nous refusons l’instauration d’une telle « FRANCHISE », socialement injuste, économiquement inefficace et dangereuse pour la santé publique. Rejoignez-nous afin d’exiger des candidats à la présidentielle une clarification de leur position face à cette menace inacceptable sur l’accès aux soins en France.

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