Erika et communication polluée

lundi 19 mars 2007.par Philippe Ladame
 
L’Erika, dont le procès s’est ouvert en février 2007, c’est une question d’environnement, bien sûr. C’est, en outre, une question économique où interviennent de multiples opérateurs. C’est une question de communication aussi ...

Dominique Voynet en avait fait l’amère expérience quand, à la veille de l’arrivée du pétrole sur les côtes bretonnes, elle s’était interrogée sur la réalité de l’ampleur de la "catastrophe écologique" à venir.

Elle éprouve d’ailleurs le besoin de revenir sur cet épisode dans son dernier livre comme nous l’évoquions ici.

L’importance de la communication autour de la catastrophe de l’Erika a bien été comprise par les régions et les villes qu’elle a plus particulièrement touchées. Constituées parties civiles dans le procès, celles-ci ont mis en ligne un site Web consacré au procès.

Les compte-rendus d’audience sont passionnants. On lit, par exemple, dans le compte-rendu d’audience n°12, ce saisissant descriptif des données du problème : « Un navire âgé de presque 25 ans, propriété d’une société maltaise contrôlée par deux sociétés libériennes et détenue par un Italien dont la banque est en Ecosse, une société de classification italienne, un Etat du pavillon maltais, des marins indiens, un affréteur à temps immatriculé aux Bahamas et une société agissant pour son compte basée en Suisse, une filiale de l’affréteur au voyage TOTAL installée au Panama, des courtiers vénitien et londonien, une cargaison chargée dans un port français et à destination d’une compagnie d’électricité italienne. »

Il est d’ailleurs un peu ironique de trouver en premier rang des initiateurs du site, la région Bretagne, dont le président, Jean-Yves Le Drian, avait pourtant moult prévention contre Internet.

Quelques mois après le naufrage de l’Erika, Jean-Yves Le Drian rédigeait un rapport dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants.

Ce rapport, était étonnamment critique à l’encontre des lanceurs d’alerte (qui s’étaient inquiétés de la possible dangerosité du fuel de l’Erika) et du rôle d’Internet dans la propagation de leurs inquiétudes, à quoi le rapport semblait vouloir opposer une parole officielle univoque et contrôlée, comme on peut le lire ci-dessous.

« Il s’agit moins de savoir quelle est la structure d’expertise compétente, leur pluralité pouvant même être un atout, que de savoir qui décide de la retransmission au public des résultats des analyses et des conditions de cette information.

Cette question continue d’ailleurs à se poser en raison des messages contradictoires adressés à l’opinion tout récemment concernant le degré de propreté des plages. La direction générale de la Santé a ainsi laissé entendre qu’elle serait contrainte de ne pas laisser ouvrir au public un nombre important de plages. Les résultats des analyses ensuite réalisées par les DDASS ont cependant largement infirmé ce pronostic pessimiste.

Ces insuffisances sont d’autant plus troublantes que, dans l’affaire de l’Erika, le problème de la communication ne s’est pas réduit aux traditionnelles relations avec les médias. On a en effet pu constater combien une rumeur scientifiquement infondée pouvait prendre de l’ampleur du fait de l’utilisation de l’Internet, et tout particulièrement des messageries électroniques.

L’auteur du message d’Analytika ne s’y était d’ailleurs pas trompé en indiquant qu’« en forwardant [sic] ce mail, vous contribuez à prouver qu’il existe maintenant un autre vecteur d’information que la télévision ».

La puissance de diffusion de l’Internet ouvre malheureusement aussi la voie à son utilisation par des personnages aux motivations pour le moins troubles (104).

Les insuffisances relevées par la commission s’agissant de la communication publique accentuent donc les possibilités d’exploitation malintentionnées de la fragilité et de l’angoisse des populations à la suite de catastrophes. C’est aussi la difficulté pour l’Etat de communiquer en temps de crise qui est apparue au grand jour et a souligné la nécessité de faire émerger un message unique des autorités publiques, qui peut certes donner lieu à discussion, mais qui joue un rôle de référent.

Il convient donc de réfléchir en profondeur aux modifications que ce phénomène de masse doit entraîner en matière de communication publique, en insistant sur la nécessité de diffuser un message constant, clair et s’appuyant sur une légitimité politique suffisante. Faute de tirer les leçons qui s’imposent de cet épisode déplaisant, les pouvoirs publics s’exposent à subir encore à l’avenir les effets dévastateurs de l’alliance du charlatanisme et de l’Internet. »

Et peut-être n’en a-t-on pas fini avec les problèmes de communication, autour de l’Erika, puisque le Dr Bernard Tailliez, directeur et gérant d’AnAlytikA, un laboratoire visé par le rapport Le Drian, a annoncé avoir demandé à son avocat de porter plainte contre celui-ci pour diffamation.

Bernard Taillez, qui accuse Total d’avoir permis le transport par l’Erika de Déchets Industriels Spéciaux sous couvert de Fioul n°2 [1], tente ainsi de soulever l’étouffoir de silence et de tracasseries administratives dont il se dit victime.

Il reste, aux autorités, bien du chemin à faire en matière de fiabilité et de transparence. Il est vrai que la communication est un art difficile. On s’en convaincra aisément en lisant les "Mentions légales" du site procès-Erika : « Les reproductions, sur un support papier ou informatique, dudit site et des oeuvres qui y sont reproduits sont autorisées sous réserve qu’elles soient strictement réservées à un usage personnel excluant tout usage à des fins publicitaires et/ou commerciales et/ou d’information et/ou qu’elles soient conformes aux dispositions de l’article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. »
Vas comprendre !

[1] Voir à ce sujet notre article sur le documentaire télévisé diffusé le 26/01/07.

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