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Pascal Canfin est responsable de la Commission économique des Verts et l’auteur de ’L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas’ [1].
Entretien avec Citron Vert :
Citron Vert : Le GIEC [2] (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) doit se réunir prochainement à Paris : qu’est ce que cela t’inspire ?
Pascal Canfin : Les chercheurs du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui se réuniront la semaine prochaine vont réaffirmer que la lutte contre le changement climatique est l’un des principaux défis du siècle. Et il y a fort à parier que pendant quelques jours les discours politiques vont sonner la mobilisation générale... avant de passer à autre chose.
CV : Si l’on décidait enfin de prendre au sérieux les cris d’alarme des scientifiques, que faudrait-il faire ?
PC : D’abord s’accorder sur une méthode, assise sur trois piliers : les comportements, les politiques et la technique. Rien de durable, ni de démocratique, ne peut se faire sans un changement de nos comportements quotidiens de consommation. Partager sa voiture avec un collègue pour se rendre au travail et diminuer ainsi par deux les émissions de Co2 émises dans l’atmosphère, acheter des fruits de saison et non des fraises importées du Chili dont le poids en CO2 émis est supérieur à son poids sur la balance du supermarché...Autant de gestes indispensables qui peuvent sérieusement contribuer à réduire notre empreinte écologique.
CV : Ces bonnes pratiques individuelles peuvent-elles, seules, être à la hauteur des enjeux ?
PC : Non, bien sûr. Il faut des politiques incitatives et règlementaires pour les accompagner et changer d’échelle. L’usage modéré de la voiture ne peut être généralisé que si en parallèle les pouvoirs publics développent l’offre de transports en commun et agissent sur les politiques d’urbanisme pour limiter la distance domicile-travail qui ne cesse d’augmenter. Même chose pour l’isolation des bâtiments et le développement des énergies renouvelables à usage domestique. Aujourd’hui, les aides publiques permettent de rentabiliser les investissements engagés par les particuliers en 12 ans environ. Un horizon beaucoup trop élevé pour espérer généraliser les comportements vertueux de quelques pionniers. Une politique publique à la hauteur des enjeux doit ramener cet horizon à 3 ans, et à 0 pour les ménages les plus fragiles. Cela coûterait autour de 10 milliards d’euros par an... qui pourraient être intégralement financés en remontant les taux d’imposition sur le revenu à leur niveau de l’an 2000, avant les baisses inéquitables attribués par Laurent Fabius puis par la droite.
CV : Mais pour que le changement soit effectif, encore faut-il que l’offre technique et économique soit suffisante ?
PC : C’est vrai. Aujourd’hui une collectivité locale ne peut pas fournir aux enfants un repas 100 % bio à la cantine car elle se heurte rapidement à des pénuries sur certains produits. Si demain 10 % des Français, ceux dont les sondages montrent qu’ils placent l’écologie au cœur de la campagne présidentielle, s’engageaient à passer leur chauffage domestique en solaire, le marché ne pourrait répondre à la demande, faute d’installateurs spécialisés notamment. Or, ces nouveaux besoins sont aussi l’un des principaux gisements d’emplois du XXI siècle. Si la France faisait aussi bien que l’Autriche en matière d’agriculture biologique, elle créerait autour de 80 000 emplois, mettant ainsi fin à une tendance amorcée au XIX ème siècle de diminution de l’emploi dans le secteur primaire. Si la France mettait en place une politique d’isolation des logements à la hauteur des enjeux, elle pourrait créer plus de 100 000 emplois dans le bâtiment et l’artisanat.
CV : Le changement climatique peut donc être considéré comme "une chance", la possibilité d’infléchir positivement notre économie ?
PC : En quelque sorte. Le changement climatique est un défi mondial nécessitant des politiques négociées au niveau international, mais c’est aussi un défi national qui interroge notre capacité collective à être à la hauteur de notre responsabilité : si l’on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre depuis le début de la révolution industrielle il y a 200 ans, deux pays émergent comme les premiers responsables du changement climatique : la France et le Royaume-Uni. Alors qu’attend-on pour nous engager sur un autre chemin, nécessaire et souhaitable. Celui d’une société plus juste, plus conviviale, moins obsédée par la consommation, à tout prix, y compris à celui de notre avenir au prix de l’avenir des générations futures.
[1] L’économie verte expliquée à ceux qui n’y croient pas, de Pascal Canfin, éditions Les petits matins. En vente dans toutes les librairies et en particulier chez Ecodif.
[2] Pour avoir des précisions sur le GIEC, on pourra, par exemple, se référer à un article d’Actu Environnement du 29 janvier.