L’eau : une affaire de citoyenneté

mardi 12 décembre 2006.par Alain Richard
 
La Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) est actuellement discutée en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. Ce peut être l’occasion de s’interroger sur cette ressource vitale et sur les enjeux qu’elle véhicule, tant dans les pays en développement que chez nous.

Il n’y a rien à attendre de révolutionnaire de cette loi LEMA : son examen, prévu initialement pour fin novembre, puis repoussé à janvier, puis finalement casé ces jours-ci, risque fort de déboucher sur un passage à la hussarde en dépit des doutes qu’expriment la majorité des observateurs, ce dont ne semblent avoir cure tous ceux qui, connaissant pourtant parfaitement le dossier, n’ignorent rien des urgences et des périls qui menacent. Après nous le déluge ? Ca y ressemble.

Ainsi, Marc Laimé augure-t-il dans sa ’Chronique d’un désastre annoncé’ [1] « une dégradation croissante de la qualité de la ressource en eau ». « Nous avons opté pour la fourniture d’eau potable à partir de l’eau polluée. » explique-t-il. « Des investissements faramineux vont donc être engagés dans les prochaines années pour lutter contre la pollution croissante des ressources. » [2] . C’est bien sûr le citoyen-usager qui acquittera la facture, au plus grand profit des majors de l’eau.

Seule « une remise en cause radicale de notre modèle de développement permet de recouvrer un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau, comme le prévoit la Directive-cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000, à l’horizon 2015. » envisage-t-il dans son dernier scénario (optimiste) « pour éviter le désastre ».

Voilà pour chez nous ; pas de quoi pavoiser ou brandir comme un étendard notre "modèle français de gestion de l’eau".

Dans les pays en développement, le problème est sensiblement différent. Si l’eau représente de la même façon un élément indispensable à la vie, ce ne sont pas les mêmes réalités que nous mettons derrière les mots. Pour nous, lorsque nous disons ’accès à l’eau’, il s’agit de tourner un robinet pour que l’eau jaillisse à profusion à l’intérieur de nos habitations. Pour les organisations internationales, l’accès à l’eau signifie que chacun a accès à vingt litres par jour, à moins d’un km d’une ressource salubre (minima OMS).

Les Objectifs du Millénaire adoptés en 2000 par les Nations Unies prévoient de réduire de moitié, d’ici 2015, le nombre de ceux qui sont privés d’eau potable et d’assainissement [3] . Oui, mais quelle moitié ? Quelle est la priorité ? La ville ou la campagne ? Ceux qui peuvent le plus facilement payer ou ceux qui en ont le plus besoin ?

Le rapport du PNUD [4], quant à lui, fait de l’accès à l’eau une condition sine qua non pour faire face aux enjeux mondiaux, lutter contre la pauvreté, la mortalité infantile, la maladie, la déscolarisation, ... Il demande que la communauté internationale reconnaisse le droit fondamental de tout être humain à disposer d’au moins 20 litres d’eau potable par jour, gratuits pour les plus pauvres.

Ce même rapport du PNUD pointe le fait que l’accès n’est guère prioritaire dans les dépenses publiques de certains Etats du sud, qui lui consacrent moins de 0,5 % de leur PIB et préfèrent investir ailleurs. Problème de "gouvernance" ? Le fait est également que la gestion d’une ressource de proximité, à gérer localement, ne rentre pas précisément dans la culture étatique et centraliste de certains pays. A quoi peuvent s’ajouter d’éventuelles pratiques de corruption.

C’est pourquoi le PNUD ne veut pas rentrer dans la querelle privé / publique : « Le débat sur les mérites relatifs des secteurs public et privé détourne l’attention de l’incapacité des prestataires de services de distribution d’eau, tant publics que privés, à remédier au déficit mondial de l’accès à l’eau ».

Les entreprises privées s’engouffrent dans la brèche en s’empressant d’ajouter " La gratuité de l’eau n’est pas une bonne chose, car elle favorise le gaspillage" [5] . Ce qui nous ramène à notre question : quelle priorité ? Ceux qui peuvent le plus facilement payer ou ceux qui en ont le plus besoin ?

Voilà pour le sud. Revenons au nord, ou plutôt gardons un pied dans chaque hémisphère.

La loi Oudin-Santini sur l’eau [6] offre aux collectivités territoriales françaises des moyens accrus en matière d’action de solidarité internationale. Les grandes entreprises françaises de l’eau sont sur le coup. Certains élus s’en inquiètent, à l’instar de Nicole Kiil-Nielsen, adjointe Verte de Rennes qui affirme « la solidarité ne doit pas servir de cheval de Troie à des intérêts privés ».D’autres, plus nombreux, éludent la question et ne voient dans l’opposition public / privé qu’un "vrai faux débat".

Il ne s’agit pas d’un vrai faux débat ; ce serait peut-être même LE débat.

Car l’eau potable est certes indispensable à la vie, nécessaire à la santé et facteur prépondérant de lutte contre la pauvreté ; elle est également un enjeu majeur d’exercice de la citoyenneté, partout dans le monde.

En effet quelle autre ressource vitale serait plus étroitement liée à l’aménagement des territoires ? Quelle autre ressource vitale appellerait prioritairement une gestion transparente, au plus proche des consommateurs, dans l’accompagnement de processus démocratiques de décentralisation, dans le cadre d’un développement ’soutenable’ ?

Les entreprises françaises de l’eau n’ont guère brillé dans ces domaines. En tout cas, pas chez nous. Il reste beaucoup de progrès à accomplir pour que les citoyens de la planète puissent accéder ou se réapproprier leur eau potable. Au sud, tout comme au nord.

[1] L’ensemble de cette chronique, en 3 parties, mérite vraiment d’être lue entièrement. L’auteur y détaille tout d’abord (partie 1) une fiction, située en 2010, qui s’inspire des travaux de plusieurs dizaines de laboratoires de recherche français et européens qui s’efforcent de prévoir les conséquences d’une dégradation accélérée de la qualité des ressources en eau, massivement polluées depuis des décennies par des rejets dont les effets sur la santé humaine demeurent sous estimés. Puis (partie 2), en revenant 15 à 20 ans en arrière il identifie les pratiques, bien réelles cette fois, à l’origine d’une pollution sans cesse croissante des ressources en eau. Qui pourrait conduire, si rien n’est fait, à des crises du type de celle évoquée au 1er chapitre. Enfin (partie 3), il relate différents scénarios : nous demeurons sourds, aveugles, indifférents, et le désastre est inévitable. Ou nous engageons une véritable révolution des comportements et des modes de vie. (Marc Laimé est journaliste spécialisé et conseil sur les politiques publiques de l’eau auprès de collectivités locales.)

[2] Le pli semble être pris : voir notre précédent article

[3] et de fournir un accès à l’eau à tous en 2025 : nous savons d’ores et déjà que cet objectif final ne sera pas atteint.

[4] voir notre précédent article

[5] Citation de Pierre Victoria (délégué général du Cercle Français de l’Eau et administrateur du Conseil Mondial de l’Eau et, par ailleurs, l’un des cadres les plus haut placés de Véolia) lors d’une récente conférence sur l’eau à Lorient.

[6] voir notre précédent article

IMPRIMER


Dernières brèves