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Après avoir été adopté en première lecture au Sénat, le 21 septembre dernier, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance de Nicolas Sarkozy arrive aujourd’hui à l’Assemblée Nationale.
Ce projet de loi a donné lieu, samedi dernier, à des manifestations dans une vingtaine de ville en France, réunissant un peu plus de 15 000 personnes [1] à l’appel du Collectif national unitaire de résistance à la délation ; celui-ci est composé de syndicats et d’associations ; ils appellent à "entrer en résistance" contre ce texte "liberticide" qui menace la prévention, le droit du travail, l’éducation, le soin et les libertés individuelles.
Les Actualités Sociales Hebdomadaires (ASH), journal professionnel généralement soucieux d’une grande neutralité dans son information, se fait l’écho de la conférence de presse du CNU, tant l’ensemble des travailleurs sociaux sont concernés et interpellés par ce projet de loi [2].
« Pour Françoise Dumont, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme et l’une des porte-paroles du collectif comprenant notamment la CGT, la FSU, SUD, Solidaires ou le Syndicat de la magistrature (SM), ce projet s’inscrit dans "une multiplication des lois sécuritaires et liberticides depuis 2002. L’Etat pénal se renforce au même rythme que l’Etat social se délite, on désigne des boucs-émissaires : mendiants, SDF, prostituées, immigrés, Roms, gens du voyage, jeunes, familles considérées comme défaillantes et laxistes". Pour Françoise Dumont, ce projet de loi a pour but de construire "une société de surveillance, de culpabilisation, de délation" au nom d’un "objectif obsessionnel de lutte contre l’insécurité". » (source Le Nouvel Observateur)
Dès lors, le collectif souhaite étendre son mouvement de "résistance" au delà des organisations professionnelles estimant que "tout citoyen est concerné". [3]
Dans son édition du 21 novembre, Le Monde publie quant à lui le ’point de vue’ collectif de personnalités [4] réfutant tout aussi catégoriquement le texte de Nicolas Sarkozy « qui repose sur une série de présupposés éminemment discutables. »
« Le projet de loi est présenté comme une réponse à la recrudescence de la délinquance des mineurs, réputés de plus en plus jeunes, et à l’augmentation des incivilités et d’actes de violence venant de multirécidivistes ».
En totale absence de données objectives, « le ministre de l’intérieur tente d’opérer une réorientation radicale de la stratégie et de la conception de la prévention (...) et de la politique des mineurs en France (...) la figure du mineur prédisposé dès son plus jeune âge à la déviance se substitue à la conception du mineur en danger sur laquelle s’est construite la mission "protectrice" de la justice et de l’action sociale dans le cadre de l’Etat éducateur de l’après-guerre ».
De plus, d’après les auteurs, la notion d’impunité dénoncée par Nicolas Sarkozy n’est en rien fondée. « L’expérience montre en réalité que le taux de réponse judiciaire en matière de délinquance juvénile est de 84 % et que le nombre de mineurs en détention a doublé depuis 1996 ».
Quant à la proposition du projet de loi sur la coordination des acteurs publics, le maire devenant l’acteur central de la politique de prévention, (doté de compétences judiciaires pour ordonner un rappel à la loi ou solliciter la mise en place d’une tutelle aux prestations sociales), elle est jugée tout simplement « dangereuses ». « D’abord parce qu’elle marque une défiance à l’égard de l’action sociale et de la justice des mineurs (...), ensuite parce que le maire devra nécessairement répondre aux attentes de ses électeurs. L’intérêt du mineur pourrait alors se soumettre aux contingences politiques locales et aux préoccupations du seul maintien de l’ordre ».
Pour conclure, l’article (qui mérite vraiment d’être lu en entier) précise qu’« il est illusoire de répondre par la seule pénalisation au malaise d’une partie de la population française assignée à résidence dans des quartiers mal reliés à l’espace commun, politiquement sous-représentée, sans perspective de promotion sociale. En cette période préélectorale, la délinquance est trop utilisée comme une ressource de communication politique et pas assez traitée comme le problème de société qu’elle est véritablement. La prévention de la délinquance juvénile appelle une autre réponse de la part des autorités publiques, à l’abri des risques de surenchère. Et ce projet de loi n’y répond manifestement pas. »
On peut difficilement mieux dire.
[1] De 6 à 8 000 manifestants, selon les associations et syndicats organisateurs, mais seulement 1 800 selon la police, ont ainsi défilé à Paris ; parmi les rassemblements qui ont eu lieu dans d’autres régions de France, quelque 500 opposants sont descendus dans la rue à Toulouse ou Avignon, 400 à Marseille, 300 à Rennes ou Nantes, 250 à Angers, une centaine à Bordeaux ou Strasbourg, etc.,
[2] Nous avions déjà abordé ce sujet dans un précédent article intitulé "secret professionnel et flicage".
[3] On pourra consulter le site du CNU et signer la pétition que propose le collectif
[4] Dominique Blanc, magistrat ; François Chérèque, secrétaire général de la CFDT ; Hugues Lagrange, sociologue ; Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue "Esprit" ; Denis Salas, magistrat.