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Ouest-France du jeudi 28 octobre consacre un reportage très documenté sur l’invasion des criquets pèlerins au Sahel : la zone actuellement dévastée s’étend de l’Atlantique (Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau) au Tchad, en passant par le Mali, le nord du Burkina Fasso et le Niger. On peut se référer également au dossier sur ce sujet dans Jeune Afrique / L’Intelligent (notamment les articles parus dans le n°2274 du 8 au 14 août 2004). Les chiffres font froid dans le dos : en 24 heures, un essaim de 10 km2 peut détruire la nourriture nécessaire à 250 000 personnes, certains essaims peuvent mesurer près de 100 km2, contenir jusqu’à 5 milliards d’insectes, et parcourir jusqu’à 100 km en une seule journée ...
L’alerte a pourtant été donnée il y a plus d’un an. "Durant l’été 2003, la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) donne l’alarme. En février 2004, la FAO demande 9 millions de dollars à la communauté internationale pour enrayer l’invasion. Silence. Les criquets envahissent le Sahel. En août 2004, la FAO estime les besoins à 100 millions de dollars. A la mi-septembre, elle en a reçu ... 2 ! En octobre, elle a obtenu 26 millions, mais le mal est fait." (la France se serait engagée à hauteur de 8 millions).
Aujourd’hui la famine commence à sévir dans les zones les plus déshéritées. Ce sont les populations de petits agriculteurs dont les greniers sont vides et dont toute la récolte de cette année est perdue qui sont les premières touchées ; "dès les prochaines semaines, il va falloir de l’aide alimentaire". Un autre drame se prépare : celui des éleveurs, généralement nomades, qui voient tous leurs pâturages détruits et commencent à abattre leurs bétails. Dans cette catastrophe humaine en gestation, les populations touchées n’ont nul recours et ne peuvent qu’espérer une aide extérieure. Ainsi par exemple, en période de disette les jeunes du nord du Mali ont l’habitude d’aller vendre leur force de travail dans les pays voisins, notamment la Mauritanie et la Côte d’Ivoire, pour nourrir leur famille restée au village ; la Mauritanie, également touchée par le fléau, rentre elle aussi dans une économie de survie, et la Côte d’Ivoire est fermée depuis quelques années pour cause de nationalisme exacerbé.
Ce n’est pas tout, le pire reste à venir, il est même annoncé ; "après une période d’accalmie (les essaims remontent actuellement du Sahel vers le Sahara), l’invasion devrait reprendre de l’ampleur en février-mars 2005, avec une possibilité d’extension jusqu’à la Mer Rouge".
Et Ouest-France de conclure : "Quand cette invasion va-t-elle s’arrêter ? Nul ne le sait. Alors qu’il suffisait de 9 millions de dollars en février 2004 : en gros, le coût d’une heure de guerre en Irak (six milliards de dollars par mois)".
On savait le monde fou ; on est toujours surpris de constater à quel point.
NB : la précédente invasion de criquets dans cette région remonte à 1988 ; elle avait touché 28 pays africains ; 320 millions de dollars avaient été déboursés pour éradiquer le fléau. Depuis cette date, les experts internationaux s’accordent à dire qu’une action préventive est beaucoup moins onéreuse qu’une opération curative ; une action d’envergure aurait permis d’assurer le contrôle préventif pour les 70 années à venir au Sahel. Aucun fonds n’a jamais été débloqué dans cette stratégie.