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Les récents décès dus à la grippe aviaire en Indonésie, notamment ceux en début de semaine dernière concernant six des sept membres d’une famille d’un village de l’île de Sumatra décédés dans un intervalle rapproché, relancent le débat sur la transmission du virus H5N1 entre humains.
En février 2006, l’ONG GRAIN [1] avait publié un premier rapport intitulé "Qui est le dindon de la farce ?" dans lequel il pointait la responsabilité de l’industrie multinationale de la volaille dans la crise de la grippe aviaire. [2]
Et pourtant, d’après l’ONG, ce sont bien les oiseaux migrateurs et les élevages traditionnels de volailles de basse-cour ou élevées en plein air qui ont été montrés du doigt ; ainsi, les gouvernements et les organismes internationaux, suivant les hypothèses erronées sur la manière dont la maladie se répand et s’amplifie, ont continué à prendre des mesures pour imposer le confinement et poussé à industrialiser davantage le secteur avicole.
Dans un nouveau rapport paru en mai, GRAIN revient sur le sujet sous le titre "Une réponse mondiale imposée d’en haut".
Témoignages et exemples à l’appui (notamment en Egypte, en Inde, en Afghanistan, ...), ce rapport démontre comment les communautés rurales pauvres sont anéanties par la réponse mondiale à la grippe aviaire. Il constate également que les organismes des Nations Unies qui se trouvent en première ligne de la réponse internationale à la grippe aviaire, l’OMS et la FAO, mènent des stratégies imposées de manière directive, sans tenir aucun compte des conséquences de ces mesures sur les petits paysans. « Les politiques actuelles sont telles que les conséquences pour les pauvres sont totalement éclipsées par des inquiétudes théoriques concernant une éventuelle pandémie humaine. »
En revanche le rapport explique que l’OMS (acteur majeur de la lutte contre l’épidémie) est « extrêmement sensible aux intérêts des entreprises pharmaceutiques et aux ambitions des collaborateurs scientifiques ». Ainsi les informations sur le séquençage de la grippe aviaire, très précieuses dans la course mondiale aux diagnostics et aux vaccins de la maladie - un marché qui pourrait s’avérer colossal si une pandémie humaine se déclarait - font-elles l’objet d’une rétention, en dépit des interpellations de certains gouvernements à les rendre publiques. « L’OMS ne donne pas les noms des laboratoires collaborateurs réticents à la publication des informations sur le séquençage de la grippe aviaire, mais il est clair pour tous les observateurs que les Etats-Unis représentent l’obstacle principal »
Ainsi il est expliqué comment les échantillons de la grippe aviaire sont collectés dans les pays touchés par la maladie, puis transmis à des laboratoires collaborateurs de l’OMS pour des tests ou directement collectés par divers programmes de surveillance des Etats-Unis, comme celui géré par le Réseau mondial des unités de recherches médicales de la Marine du Ministère de la Défense (NAMRU), basé notamment en Egypte et en Indonésie. « Il n’est pas rassurant de voir que l’homme qui est responsable du Réseau NAMRU au Secrétariat à la Défense des Etats-Unis est Donald Rumsfeld, depuis longtemps implanté dans l’industrie pharmaceutique. » souligne le rapport.
La FAO (Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture) a, pour sa part complètement retourné sa veste ; après avoir pendant des années promu l’élevage de volaille à petite échelle, elle recommande dorénavant de passer des fermes familiales d’élevage aux fermes industrielles à grande échelle, au motif sanitaire que ces dernières sont "étroitement surveillés". Ce revirement de politique constitue « un coup tordu de la part de la FAO : convaincre d’abord les petits éleveurs d’abandonner leurs pratiques traditionnelles et leur biodiversité pour des pratiques modernes, ce qui les a davantage exposés à la grippe aviaire, et ensuite annoncer au monde que ces fermes doivent être définitivement fermées afin de laisser le champs libre aux gros élevages industriels du futur. »
Le rapport de GRAIN détaille également l’aspect financier de la réponse au niveau international à la grippe aviaire. Plus de 80% des fonds alloués à la lutte contre l’épidémie sont affectés aux trois organisations dirigeant la stratégie mondiale : l’OMS, la FAO et l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale), et, parmi les donateurs, les Etats-Unis sont au monde ceux qui dépensent le plus pour la grippe aviaire, même si la souche H5N1 du virus n’a pas encore touché le pays. Ce qui explique que « les financements ne sont octroyés [aux pays touchés] qu’à condition que les gouvernements suivent les directives établies par l’OMS et la FAO, qui incluent des mesures controversées comme l’abattage, la constitution de stocks de médicaments, et une restructuration à long terme de l’industrie avicole. » Il va de soi que l’indemnisation des petits éleveurs contraints d’abattre leur volailles ne fait pas partie des programmes prioritairement mis en œuvre.
GRAIN conclut en disant que, sous le prétexte d’une pandémie humaine imminente, on utilise « un énorme gourdin pour écraser une mouche », sans nuance, sans sensibilité aux besoins des personnes et sans reconnaissance des éleveurs locaux, et que cette stratégie profite à quelques uns : aux multinationales avicoles et aux multinationales pharmaceutiques. « L’ironie est que la solution proposée - une réorientation totale vers une élevage industrielle - nous ramène directement à l’origine du problème. » (voir le précédent rapport de GRAIN de février )
Signalons, pour finir, que, sur le même sujet, le site Décroissance publie un article sous le titre "Après la guerre du pétrole,la guerre des protéines" dans lequel l’auteur fait un parallèle entre la crainte du terrorisme provoquée par le 11 septembre qui a permis le déclenchement de la deuxième guerre en Irak et le risque d’une pandémie de grippe aviaire qui autorise la mainmise par les géants de l’industrie agro-alimentaire et pharmaceutique sur la production d’une des principales sources de protéines que sont les volailles et ses produits dérivés dont les œufs.
Même réponse radicale à un phénomène (entretenu) de peur ; dans un cas, la réponse est la guerre aux tyrans diabolisés, dans l’autre, la guerre aux petits élevages de plein air.
[1] GRAIN est une organisation non gouvernementale dont le but est de promouvoir la gestion et l’utilisation durables de la biodiversité agricole fondées sur le contrôle exercé par les populations sur les ressources génétiques et les connaissances locales.
[2] On pourra voir l’article que Citron Vert avait consacré à ce premier rapport