Prison, comment ça va avec la douleur ?

samedi 27 mai 2006.par Alain Richard
 
Alors que paraît un rapport alarmant sur l’état des prisons française en 2005, les Etats généraux de la condition pénitentiaire lancent une consultation inédite.

L’Observatoire international des prisons (OIP) parlait déjà, dans sa première édition 2003, d’une institution carcérale française minée par la surpopulation. Deux ans plus tard, « force est de constater que le tableau s’est encore assombri » dans les prisons en France.

« Restituant l’ensemble des faits constatés par l’OIP sur la période 2004/2005, ce nouveau rapport dresse un état des lieux des conditions de vie et de travail derrière les murs des prisons françaises. Après un rappel et une mise en perspective des politiques pénale et pénitentiaire en vigueur, l’OIP s’attache à décrire toutes les dimensions de cet univers opaque : intimité et liens familiaux, accès aux soins, mortalité et suicides, régimes disciplinaire et d’isolement, travail et formation professionnelle, activités éducatives et culturelles, argent et coût de la vie, libération conditionnelle, permissions de sortir et semi-liberté, préparation à la sortie... Sur tous ces aspects du quotidien carcéral pèse finalement le choix des pouvoirs publics de gérer la surpopulation carcérale et l’allongement des peines en renforçant les mesures de sécurité. Cette orientation contamine tout le système pénitentiaire, nourrit les violences derrière les murs et annihile tout effort de préparation au retour dans la vie libre. À l’heure où la réponse carcérale tend à se généraliser, cette radiographie donne à voir et aide à comprendre le monde hors normes des prisons. » (source le rapport 2005 de l’OIP, rendu public le 24 mai.)

"Il ne fait pas bon vivre dans les prisons en France" comme le titre Actualités News Environnement. La conclusion du rapport de l’OIP (source : texte de la conférence de presse du 20 octobre 2005, format pdf) est sans appel et montre du doigt les choix politiques :

« Les nouvelles prisons sont toutes entières dédiées à un impératif de sécurité qui invalide toute concrétisation possible de la mission de réinsertion ...

... La dégradation de la situation des prisons ne doit rien à une fatalité qui résulterait de la dangerosité des personnes qui y sont détenues. Elle résulte de choix politiques qu’il serait honnête d’assumer comme tels. Les violences, agressions, auto-mutilations, suicides, grèves de la faim comme les mouvements de protestation collective - que les pouvoirs publics disent tant chercher à éviter - doivent être pris pour ce qu’ils sont : le produit croisé des conditions déplorables dans lesquelles s’effectue la détention en France et de la longueur démesurée des peines qu’infligent les tribunaux dans notre pays...

... La prison demeure un extraordinaire facteur de précarisation sociale et partant, de récidive. »

Relatant la parution du rapport de l’OIT, le Figaro cite Me Thierry Lévy [1] : « La plupart des détenus ne sont pas condamnés pour des faits de violence graves, mais parce qu’ils appartiennent à des minorités défavorisées. Le gouvernement utilise la prison comme une réponse à l’aggravation de la misère sociale. » [2]

En même temps qu’il rendait public son rapport, l’OIP lançait « une consultation sans précédent sur les conditions d’incarcération » [3]. Pour la première fois, les personnes détenues vont être consultées, par questionnaire individuel. Outre 60 000 prisonniers et leurs familles, 23 000 surveillants, 7 700 magistrats, 45 000 avocats et quelque 25 000 intervenants du milieu carcéral participeront également à cette consultation, soit au total 220 000 personnes.

De fait, ce sont bien les ’Etats généraux de la condition pénitentiaire’ que compte lancer l’OIP.

"C’est une entreprise sans pareille", a lancé Robert Badinter qui parraine l’initiative [4]. L’ancien garde des sceaux parle d’"une rupture du silence carcéral" ; "là, on va demander aux intéressés ce qui doit être transformé et amélioré". "Enfin, nous aurons la parole des détenus pour un projet qui aura recueilli l’accord de tous les acteurs concernés".

La consultation balaie cinq thèmes : le fonctionnement du service public pénitentiaire, la vie quotidienne en prison, les régimes de détention (détention provisoire, quartier disciplinaire, etc.), la préparation à la sortie, les alternatives à l’emprisonnement.

Un questionnaire de onze pages, mis au point par l’institut BVA et l’OIP, a commencé à être envoyé dans toutes les prisons du pays. Sur place, 115 délégués régionaux les remettront en main propre aux détenus. Une fois rempli, le formulaire sera gratuitement retourné, sous pli fermé et donc préservant l’anonymat, au médiateur de la République. Les autres acteurs du monde carcéral, "ceux du dehors", répondront sur Internet (www.etatsgenerauxprisons.org). La date butoir de retour des réponses est fixée au 31 juillet ; le dépouillement devrait durer jusqu’au mois de septembre ; la clôture des Etats généraux est prévue à la mi-novembre.

Le rapport de clôture, condensé de tout ce qui sera revenu du terrain, est sensé aboutir à un projet de réforme qui devrait lui-même être soumis, durant la campagne présidentielle, à tous les candidats, afin de connaître leur engagement sur le sujet.

Car le projet vise, ni plus ni moins, à mettre un terme à l’inertie des pouvoirs publics en renvoyant les politiques devant leurs responsabilités : « A quinze mois d’échéances électorales majeures, les États généraux visent à mettre un terme à la confiscation permanente des questions pénale et carcérale par des politiques qui jouent avec la peur de nos concitoyens et imposent une surenchère dangereuse. En effet, il est aujourd’hui manifeste que les conditions d’exécution des peines d’emprisonnement ne permettent pas à la personne incarcérée un retour préparé et apaisé à la vie ordinaire et, par là même, s’avèrent incapables de prévenir efficacement la récidive. » (source Etats généraux de la condition pénitentiaire).

[1] Me Thierry Lévy : président de la section française de l’OIP.

[2] Pour ce qui le concerne, le Réseau d’alerte sur les inégalités (RAI), au sujet duquel Citron-Vert a fait une récente brève sur la nouvelle édition du Bip40, dit de la situation carcérale : « Les politiques sécuritaires prennent le pas sur les politiques sociales : on emprisonne les pauvres faute de vouloir réduire la pauvreté. Le taux d’incarcération a fait un bond spectaculaire en 2004 dans notre pays, atteignant son niveau record de 98 pour 100 000 habitants. »

[3] voir les articles du Monde, du Nouvel Obs., de Libération, de l’Humanité, etc .... (même la Grande muette en parle sur Armées.com en reprenant un papier du Petit Journal sous le titre "la parole est aux prisonniers", c’est dire ...)

[4] initiés par l’OIP, les Etats généraux de la condition pénitentiaire sont soutenus par une dizaine d’associations, structures ou syndicats, dont : Emmaüs, LDH, Syndicat des avocats de France, CGT-pénitentiaire, Snepap-FSU, Syndicat de la magistrature, Union syndicale des magistrats.

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