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Comme plusieurs autres organes de presse, Libération évoque un rapport publié mardi à Bruxelles qui émane de plusieurs organismes ou ONG européens regroupés au sein de Smoke Free Partnership (European Respiratory Society, Cancer research UK, Institut national du cancer et European Heart Network).
Selon ce rapport, dans les 25 pays de l’Union Européenne, environ 72.000 personnes sont victimes du tabagisme passif [1] à leur domicile, et 7.000 sur leur lieu de travail. Le bilan est particulièrement lourd dans le secteur dit Horeca (Hotel Restaurant, Cafés). On estime à 325 décès annuels imputables au tabagisme passif chez les personnes travaillant dans les bars, restaurants et discothèques, soit près d’une victime par jour.
Mais la European Respiratory Society publie parallèlement un autre rapport tout à fait passionnant, dont il n’est, hélas, pas fait état dans la presse. Ce rapport en anglais (.pdf de 352 Ko) concerne la « Stratégie de l’industrie du tabac pour contrer les lesgislations et les politiques "sans tabac" ».
Au début des années 70, expliquent les auteurs, des études ont commencé à évoquer le problème que posait le tabagisme passif. L’industrie du tabac a rapidement pris conscience de l’enjeu. Comme l’expliquait en 1975 le président de l’association britannique des producteurs de tabac : « Jusqu’à présent, personne n’a sérieusement contesté que, en dernier ressort, la décision de fumer ou pas relevait de chaque individu.[...] Tout change si on peut établir que les fumeurs mettent en danger non seulement leur propre santé, ce qui est leur affaire, mais aussi celle du reste de la communauté. »
L’une des réponses de l’industrie face au "danger" fut d’organiser des "symposiums", conférences financées par le lobby et dont les conclusions contestaient ou relativisaient les risques du tabagisme "d’environnement". Prenant un exemple récent, le rapport cite ainsi un "séminaire" organisé par l’association britannique des producteurs dans le cadre de l’Institution Royale de Grande-Bretagne. Bien que mettant en avant ce label de qualité scientifique, le lobby du tabac n’avait, en réalité, fait que louer le lieu. Et, la faiblesse de la participation scientifique à ce "séminaire" n’empêcha nullement la publication de conclusions avantageuses.
L’industrie du tabac s’employa aussi à dénigrer les travaux scientifiques gênant comme ceux du Dr. Hirayama. Celui-ci avait suivi, pendant 14 ans, 265.000 japonais.Il avait constaté que les non-fumeuses mariées à des gros fumeurs avaient deux fois plus de risques de mourir d’un cancer du poumon que les autres.
L’Institut du Tabac (Etats-Unis) est alors monté au créneau, dénonçant Hirayama comme "anti-fumeur fanatique" et mettant en garde contre sa « manipulation des données ». Un statisticien de l’Institut crut même découvrir une erreur de calcul jetant le discrédit sur l’étude entière. Il s’avéra qu’il n’y avait pas d’erreur, mais la campagne de dénigrement avait pu faire son oeuvre.
Avec la multiplication des études indépendantes alarmantes, l’industrie du tabac, changea partiellement son angle d’attaque en multipliant elle aussi des études tendant à mettre en avant d’autres facteurs de risques afin de relativiser la question du tabagisme passif. Par exemple, en 1992, Ragnar Rylander, consultant pour Philip Morris, publiait avoir trouvé une "correlation significative" entre la consommation d’oeufs, de yaourts, de poulets et de desserts lactés et les infections respiratoires.
Enfin le rapport de la European Respiratory Society explique ce que Philip Morris appelle la "législation préemptive". Il s’agissait, pour le lobby, d’anticiper la mise en place de législation concernant le tabac, afin d’éviter des lois trop "dures".
En 1993, a ainsi été adopté un décret royal, à la rédaction duquel l’association des producteurs belges avait largement contribué. L’article principal dispose que « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les conditions d’utilisation du tabac pendant les heures de travail, y compris les pauses et les repas, prennent en considération les besoins réciproques des fumeurs et des non-fumeurs. Ces mesures doivent être fondées sur la tolérance mutuelle, le respect des libertés individuelles et la courtoise. »
Déplorant tout ce "temps gagné" (par le lobby du tabac) les auteurs espèrent que ces politiques dilatoires ont maintenant enfin atteint leurs limites et que désormais, les politiques "sans tabac" mises en oeuvre dans certains pays seront rapidement généralisées.
[1] Le tabagisme passif est le fait de subir les effets du tabac alors qu’on n’est pas soi-même fumeur.