De la brevetabilité des idées

lundi 4 juillet 2005.par Philippe Ladame
 
Sur la question de la brevetabilité, une importante partie se jouera mercredi à propos des brevets logiciels.

Lorsque Richard Stallman [1] avait demandé publiquement à Patrick Devedjian, alors ministre de l’industrie, comment la France voterait sur la question des brevets logiciels, Devedjian avait répondu en défendant passionnément le droit d’auteur, louant le rôle joué par Victor Hugo dans l’adoption de ce droit.

Dans un article récent, Richard Stallman tente de lever la confusion entre droit d’auteur et brevetabilité des idées.

Il explique que le droit d’auteur protège la paternité de l’oeuvre, en interdisant sa copie pendant une certaine durée. « Les brevets fonctionnent différemment, explique-t-il. Les brevets couvrent des idées ; chaque brevet est un monopole sur l’utilisation d’une idée, qui est décrite dans le brevet lui-même ».

Pour illustrer ce qu’est un brevet logiciel, Richard Stallman donne l’exemple de ce qu’aurait pu être un "brevet littéraire" « :
- Revendication 1 : procédé de communication caractérisé par l’introduction dans l’esprit d’un lecteur du concept d’un personnage ayant été en prison durant une longue période de temps, si bien qu’il se sent aigri contre la société et le genre humain.
- Revendication 2 : procédé de communication selon la revendication 1, caractérisé en ce que ledit personnage trouve une rédemption morale à travers la bonté d’un autre personnage.
- Revendication 3 : procédé de communication selon la revendication 1 et 2, caractérisé en ce qu’il consiste à changer le nom dudit personnage au long du récit.

Si un tel brevet avait existé en 1862 lorsque « Les Misérables » ont été publiés, le roman aurait enfreint chacune de ces trois revendications, puisque toutes ces choses arrivent à Jean Valjean au cours du roman. Victor Hugo aurait pu être poursuivi en justice et aurait perdu. »

La limite de l’analogie est que, dans le cas d’un roman, la forme, le style, la manière est essentielle. La richesse d’un logiciel tient d’abord à la somme des idées mises en oeuvre (même si la programmation elle-même le rendra plus ou moins performant). D’où la volonté de certains de protéger ces idées, afin d’en favoriser la mise en oeuvre.

Les tenants de ce point de vue souhaitent donc que des idées apportant une "contribution technique novatrice" et susceptibles de mise en oeuvre industrielle puissent être brevetées. C’est la position défendue par l’Office européen des brevets, la Commission européenne et les quelques entreprises multinationales du secteur.

Les opposants redoutent que ce dispositif ne serve, en réalité, qu’à constituer des positions de monopoles qui stériliseront durablement le secteur informatique, pour le plus grand profit de quelques uns. Par exemple, une étude de 2004 sur Linux, le noyau du système d’exploitation GNU/Linux, a découvert qu’il enfreignait pas moins de 283 brevets logiciels différents déposés aux États-Unis (qui a adopté une législation de brevetabilité large).

Le mercredi 6 juillet 2005, le Parlement Européen devra décider s’il suit cette voie "à l’américaine" ou s’il rejette la brevetabilité des logiciels, comme il l’avait fait, en première lecture, en 2003.

A ce jour, plus de 4.000 sites Web (dont Citron Vert), ont modifié leur page d’accueil en signe de participation à la manifestation contre les brevets logiciels.

[1] Lire l’article de Wikipedia consacré à Richard Stallman.

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