Drame de l’amiante : des leçons pour l’avenir

jeudi 27 octobre 2005.par Philippe Ladame
 
Un rapport très intéressant vient d’être rendu public sur le site du Sénat.

Le rapport d’information n° 37 (2005-2006) de MM. Gérard Dériot (rattaché au groupe UMP) et Jean-Pierre Godefroy (groupe PS), a été fait au nom de la « mission commune d’information consacrée au drame sanitaire de la contamination par l’amiante et à ses répercussions sur le plan humain, social et financier » et déposé le 20 octobre 2005.

Le rapport, très complet, comporte trois parties. Nous nous attacherons ici au chapitre II de la 1ère partie, intitulé « L’Etat "anesthésié" par le lobby de l’amiante ».

La question qui traverse la première partie du rapport est la suivante : Comment se fait-il que, alors que les risques de l’amiante étaient connus depuis des dizaines d’années, son abandon en France ait été si tardif ?

Les rapporteurs soulignent l’insuffisance des moyens de l’inspection du travail, la division administrative trop étanche entre ministère du Travail et ministère de la Santé, la difficulté pour les organisations syndicales de revendiquer au risque du chômage ...
Ils s’interrogent aussi sur le rôle du CPA.

Le Comité Permanent Amiante (CPA) naît en 1982 dans une situation de vide. Comme l’a expliqué aux rapporteurs M. Jean Paoli, représentant de Force ouvrière « Pourquoi le comité permanent amiante a-t-il existé ? Parce qu’il n’y avait rien à l’époque et que l’INRS [1] ne faisait pas son travail, pas plus que la DRT, la DGS [2] et la sécurité sociale ».

La création du CPA ne suit donc pas un protocole précis. Voici comment le professeur Claude Got décrit, pour la mission, les circonstances de la création : « C’était un organisme informel ; le comité permanent amiante est une création de M. Moyen, directeur de l’INRS de l’époque, après un congrès sur l’amiante qui avait eu lieu à Montréal. Le lobby de l’amiante assurait qu’il s’agissait d’un produit merveilleux, mais qu’il valait mieux le gérer pour en réduire le risque. M. Moyen avait dit aux industriels et à quelques médecins : « Il faudrait que l’on ait une structure informelle où tous les gens qui ont à débattre du problème de l’amiante se réunissent périodiquement, fassent le point et améliorent la gestion de l’amiante ». Ils se sont mis d’accord et on a retrouvé autour de cette table les industriels, les ministères du travail et de la santé, les syndicats, sauf FO. »

Dans ce vide, le CPA s’installe donc. Il se réunira, en réunion plénière ou en groupes de travail, 98 fois entre le 20 septembre 1982 et le 25 septembre 1995 jour où les représentants des différents ministères ainsi que ceux des organisations syndicales indiquent leur décision de ne plus siéger.

Structure informelle, le CPA comporte néanmoins de nombreux scientifiques ce qui lui donne une légitimité apparente. Mais ces scientifiques se cantonnent modestement dans leur fonction. « Notre rôle était de déterminer des valeurs limites d’exposition permettant de continuer à utiliser ce matériau en limitant les risques, dans l’attente d’une éventuelle interdiction gouvernementale. [...] Notre intervention au sein du comité amiante n’avait donc pas pour objet de prononcer une interdiction de l’amiante. Elle était destinée à assurer la protection de la population dans les conditions prévues par la réglementation française de 1977. Progressivement, cette dernière a évolué, » explique le professeur Patrick Brochard.

Plusieurs des acteurs d’alors estiment que le CPA avait une mission de prévention dont il s’est acquitté correctement. Ainsi, pour M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, « le CPA a contribué à l’information et à la mise en oeuvre de mesures concrètes dont l’élaboration de brochures sur le diagnostic et sur le traitement des flocages à base d’amiante entre 1985 et 1990 ».

La grande ambiguité, que les rapporteurs mettent en lumière, c’est le fait que, parallèlement, le CPA se pose comme LA référence et L’« interlocuteur incontournable de l’administration ». Or, que dit cet interlocuteur ?

Comme l’explique le professeur Brochard, « à partir de 1977, il avait été établi que toutes les formes d’amiante étaient des agents cancérigènes. Dès lors, la France devait donc faire un choix : continuer à utiliser le matériau ou opter pour une autre voie ». La réponse du CPA sera diffuse, mais constante : il n’y a pas d’alternative à l’amiante, il faut continuer à l’utiliser en renforçant la prévention pour que les doses de toxiques soient les plus faibles possibles.

En même temps qu’il publie des recommandations de prévention, le CPA va donc s’employer à contrer les initiatives tendant à interdire l’amiante. Ainsi le rapport détaille la manière dont le CPA organisera un "contre-feu" lors de la publication en 1986, d’une étude de l’Environmental Protection Agency (agence américaine pour la protection de l’environnement) qui proposait d’interdire l’usage de l’amiante.
- le 26 mars 1986, un groupe de travail critique « le caractère pseudo-scientifique d’un document utilisé à des fins politiques »
- le 18 avril 1986, le CPA aborde de nouveau cette question et réfléchit à la manière de réagir à la proposition de l’EPA, dont « les conclusions sont tellement incertaines qu’on ne peut leur accorder de crédibilité »
- le CPA décide de transmettre aux ministres français de l’industrie, du travail, de la santé et de l’environnement une note faisant part de ces critiques.

Autre exemple de ce que les rapporteurs qualifient de "lobbying" : alors que l’inquiétude croissait, vers la fin des années 80, concernant l’utilisation de l’amiante en général, le CPA a concentré ses discussions et ses interventions sur le flocage [3], ignorant la poursuite de la production et la mise sur le marché de multiples produits à base d’amiante-ciment.

Pour le professeur Got, le CPA « a été un piège » : « Les médecins qui y participaient [...] n’étaient pas au courant des alternatives possibles et du fait que certains pays commençaient à mettre de la cellulose, des fibres synthétiques pour armer le ciment et remplacer les revêtements qui ont revêtu tous les hangars dans le monde agricole français, tous les poulaillers et tous les tubes collecteurs d’eaux usées. Le comité permanent amiante a été manipulé par une industrie dont l’intérêt était de poursuivre l’usage d’un produit bon marché, dans une logique de production économiquement intéressante ».

Une explication qui convainc les rapporteurs qui concluent que « le CPA n’était rien d’autre que le « faux nez » des industriels. »

Le rapport est consultable sur le site du Sénat. Il peut être aussi téléchargé au format .pdf (1.2 Mo).

[1] l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) est une association de type « loi de 1901 » créée en 1947, de composition paritaire (salariés et employeurs) longtemps présidé par les employeurs (source).

[2] « A la DGS, personne n’avait en charge le problème de l’amiante » confirme le professeur Got (source).

[3] La technique du flocage (qui n’est pas spécifique à l’amiante) consiste à réaliser un revêtement constitué d’un enchevêtrement de fibres agglomérées par un liant (généralement du ciment ou du plâtre) projeté et collé sur un support donné.

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